lundi 11 octobre 2010

Les pensées des personnages - Partie 3

Ce billet est le dernier de la série Les pensées des personnages. N'oubliez pas qu'il est une traduction libre du livre Dynamic Characters de Nancy Kress paru en 1998 aux éditions Writer's Digest Books. À cette traduction libre, j'ai ajouté des exemples de mon cru afin de bien illustrer le propos.

C'est parti!

Distance! Très près et personnelle, ou pas?


Dans une histoire racontée avec un PDV d’un narrateur à la troisième personne, il y a trois positions que vous pouvez prendre concernant la distance avec vos personnages. Et dépendamment du choix de la distance, la mécanique à utiliser pour présenter les pensées des personnages sera différente.

La distance est la mesure de « comment loin » vous, l’auteur, vous vous tenez par rapport à votre personnage alors que vous racontez votre histoire.

A) Êtes-vous celui qui observe complètement à partir de l’extérieur, comme une caméra qui filmerait tous les gestes et paroles de vos personnages, et qui apporterait occasionnellement son commentaire ? Si oui, vous êtes très loin de vos personnages. C’est la plus grande distance qu’un auteur peut prendre pour raconter son histoire.

Dans ce cas-ci, le narrateur n’entre pas dans les pensées des personnages. Comme dans l’exemple ci-dessous :

Janie fixa l’écran de la télévision avec intensité. Un homme costaud, aux yeux gris acier, les mains liées dans le dos, tituba devant un policier qui le poussait brutalement.
− Lui! s’exclama-t-elle en fermant le téléviseur. Marie… Elle ne doit surtout pas le savoir.
Elle termina son café d’une traite, se précipita vers le téléphone et composa le numéro de son frère.
− Allez… réponds. Marc…, s’impatienta-t-elle en rongeant l’un de ses ongles.
Janie détestait quand elle ne pouvait joindre facilement son frère jumeau. Certes, ils se ressemblaient beaucoup, mais ils n’avaient rien en commun, contrairement aux autres jumeaux qu’ils connaissaient. Lui travaillait dans un garage miteux, mangeait du fast-food et aimait le country, et elle enseignait la musique au conservatoire, mangeait santé et n'écoutait que du classique.
Enfin, une voix familière répondit à l’autre bout du fil.
− Marc. C’est moi…

Dans ce fragment d’histoire, le narrateur et le lecteur sont très loin du personnage et se tiennent à l’extérieur de lui : on voit Janie agir et parler. Le narrateur nous dit que Janie déteste quand elle ne peut joindre son frère facilement et nous donne même une information sur les jumeaux. Mais, en aucun cas, on n’est dans les pensées de Janie.

B) Si vous vous teniez directement derrière le personnage, et que vous voyiez exactement ce qu’elle voit, avec quelques incursions occasionnelles dans sa tête pour nous présenter ses pensées, alors vous vous trouveriez à une distance moyenne de votre personnage. Voici le même exemple modifié :

Janie fixa l’écran de la télévision avec intensité. Un homme costaud, aux yeux gris acier, les mains liées dans le dos, tituba devant un policier qui le poussait brutalement. Lui! s’exclama-t-elle dans sa tête en fermant le téléviseur. Qu’arriverait-il si Marie venait à l’apprendre ? Janie n’osa même pas y penser. D’une traite, elle termina son café et se précipita vers le téléphone. Elle composa le numéro de son frère. Il était le seul, songea-t-elle, à savoir quoi faire…
− Allez, réponds. Marc…
Elle s’impatienta et rongea ses ongles. Une sonnerie, deux, trois… Elle grimaça, elle détestait quand elle ne pouvait le joindre facilement. Son frère et elle, même s’ils étaient jumeaux, avaient beau se ressembler, ils n’avaient rien en commun, rumina-t-elle, rien, contrairement aux autres jumeaux qu’ils connaissaient. Lui travaillait dans un garage miteux, mangeait du fast-food et aimait le country alors qu’elle enseignait la musique au conservatoire, mangeait santé et n’écoutait que du classique.
Une voix familière répondit enfin à l’autre bout du fil.
− Marc. C’est moi…

Dans cet exemple, nous entrons un peu plus dans la tête de Janie, nous savons ce qu’elle pense et ressent. Les incises sont utilisées, car nous sommes à une certaine distance d’elle, nous ne voyons pas la scène complètement de son point de vue. Il pourrait y avoir confusion si les incises n’étaient pas utilisées : est-ce Janie qui pense ou est-ce le narrateur qui donne une information? Pour présenter les pensées, les formats 1, 3 et 4 (voir premier billet de cette série) sont à privilégier dans ce cas-ci.

C) Si vous traversez l’histoire entière dans la tête d’un personnage, de sorte que tout ce que le lecteur voit est filtré par la conscience du personnage, vous vous trouvez alors à une distance proche de votre personnage, comme si l’histoire était racontée par un narrateur à la première personne. Voici comment, de ce PDV, l’exemple ci-dessus serait raconté :

Janie fixa l’écran de la télévision avec intensité. Un homme costaud, aux yeux gris acier, les mains liées dans le dos, tituba devant un policier qui le poussait brutalement. Elle retint son souffle. Lui! Non… Et Marie? Elle ne devait surtout pas le savoir. Ah, merde… si elle l’apprend… Elle n’osa pas y penser et, d’une traite, termina son café puis se précipita vers le téléphone. Elle composa le numéro de son frère. Il était le seul à savoir quoi faire, il avait déjà passé par là…
− Allez, réponds. Marc…
Elle s’impatienta et rongea ses ongles. Une sonnerie, deux, trois… Elle grimaça, elle abhorrait quand il lui faisait cela. Oui, ils étaient jumeaux, oui, ils avaient beau se ressembler, mais tout les séparait, contrairement à Jack et Sadie qui se collaient comme des frères siamois et qui ne se lâchaient pas d’un poil. Étouffant!
Sixième sonnerie. Elle soupira. Mais où était-il donc? Au garage? En train d’écouter son country au plafond et s’empiffrant d’une poutine? Elle fit une moue. Il était tout le contraire d’elle qui enseignait la musique au conservatoire, mangeait santé et n’écoutait que du classique. Des jumeaux? Juste en apparence…
Enfin, une voix familière répondit à l’autre bout du fil.
− Marc. C’est moi…

Dans cet exemple, les pensées de Janie nous sont montrées, contrairement à l’exemple précédent où elles nous étaient dites. Nous sommes dans la tête de Janie, nous percevons la situation de son point de vue. Et les pensées sont présentées dans son langage à elle, avec sa tournure de phrase à elle et avec ses mots. On expérimente davantage les pensées du personnage : on les entend et on les ressent. Quand votre narrateur se tient à une distance proche de vos personnages, les formats 2 et 5 sont à privilégier pour présenter leurs pensées.

Voilà. J'espère que cette série de billets vous a permis d'y voir plus clair sur les différentes façons de présenter les pensées de vos personnages.

On se revoit dans un prochain billet...
À venir : une entrevue virtuelle avec une grande auteure.
Surprise!

Merci d'être là et de me lire.
Annie xxx...

4 commentaires:

  1. Merci Annie pour cette belle série d'articles! Ne reste plus qu'à mettre tout ça en pratique!

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  2. Merci Isabelle, je suis convaincue que tu en es capable, de mettre tout ça en pratique ! Bonne écriture ! :o)xxx...

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  3. Comme je disais dans mon commentaire du billet d'avant, il faut cependant faire attention, si on choisit une distance très proche de notre personnage, de s'en tenir au point de vue du même personnage pendant toute durée cohérente (une longue scène, un chapitre, etc). Sinon, ça fait désordre ;)

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  4. Tu as tout à fait raison, Gen ! Tout dépend du choix de l'auteur avant d'écrire. S'il écrit son roman à la troisième personne avec une focalisaion centrée uniquement sur le personnage principal, il devra alors s'y en tenir, du début jusqu'à la fin. S'il décide, par contre, d'écrire (toujours en « il ») avec une focalisation centrée sur plus d'un personnage, alors oui, l'auteur doit préserver le PDV d'un personnage durant un paragraphe, une scène ou un chapitre. Sinon, ça risque d'être un peu trop confus !
    Merci, Gen, de soulever ce point fort intéressant. :o)

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