mercredi 6 octobre 2010

Les pensées des personnages - Partie 2

Voici la suite de mon billet d'hier. N'oubliez pas qu'il est une traduction libre d'un passage du livre Dynamic Characters, How to create personnalities that keep readers captivated, de Nancy Kress, livre paru aux éditions Writer's Digest Books en 1998.

L’utilisation de l’italique signifie un changement dans le point de vue (passant de la troisième personne à la première) et dans le temps de la narration (passant du passé au présent). Voyons cela dans un passage un peu plus long :

« Myriam observait le visage de Jean. Il avait les yeux chassieux à cause des quatre verres de whisky qu’il avait ingurgités avant le repas. Ses pupilles bougeaient dans tous les sens. Son sourire — ce sourire qu’elle aimait autrefois — était inégal : un coin de lèvre relevée et l’autre pas, pâle rayon d’un homme à qui la vie paraissait bienveillante, car rien n’était vu clairement. Des œufs séchés s’encroutaient dans sa barbe. Je ne peux plus le faire, pensa-t-elle. C’est impossible. »

Cette technique travaille bien dans les cas où l’on présente de courtes pensées. Cependant, pour des pensées plus longues qu’une phrase ou si vous utilisez cette technique trop souvent dans votre histoire, cela peut sembler une intrusion. Le lecteur peut sentir que l’écrivain éprouve de la difficulté à décider s’il doit écrire à la troisième personne ou à la première. En plus, si les italiques sont utilisés pour mettre de l’emphase, alors des pensées en italiques qui se suivent sans arrêt peuvent paraître comme un gonflement artificiel. Des personnages qui pensent avec emphase tout le temps sont aussi ennuyants que des personnages qui crient tout le temps.

Une manière plus subtile de combiner les pensées à la première personne avec une narration à la troisième personne est de mettre de côté l’italique, mais de conserver l’incise et le temps présent. Donc, le passage ci-dessus devient :

« Myriam observait le visage de Jean. Il avait les yeux chassieux à cause des quatre verres de whisky qu’il avait ingurgités avant le repas. Ses pupilles bougeaient dans tous les sens. Son sourire — ce sourire qu’elle aimait autrefois — était inégal : un coin de lèvre relevée et l’autre pas, pâle rayon d’un homme à qui la vie paraissait bienveillante, car rien n’était vu clairement. Des œufs séchés s’encroutaient dans sa barbe. Je ne peux plus le faire, pensa-t-elle. C’est impossible. » 

Mais que se passe-t-il si votre personnage est une personne qui pense beaucoup et que vous avez ses longues réflexions à transmettre au lecteur? Une des solutions est d'écrire les pensées (qui étaient, à l'origine, écrites à la première personne et au temps présent) à la troisième personne et au passé, afin de s’harmoniser avec le temps de la narration (qui est au passé). Alors, le passage devient :

« Myriam observait le visage de Jean. Il avait les yeux chassieux à cause des quatre verres de whisky qu’il avait ingurgités avant le repas. Ses pupilles bougeaient dans tous les sens. Son sourire — ce sourire qu’elle aimait autrefois — était inégal : un coin de lèvre relevée et l’autre pas, pâle rayon d’un homme à qui la vie paraissait bienveillante, car rien n’était vu clairement. Des œufs séchés s’encroutaient dans sa barbe. Elle ne pouvait plus le faire, pensa-t-elle. C’était impossible. »

Cette façon de manipuler les pensées est moins intrusive et apparente, parce que vous ne changez ni le temps ni la personne.

Finalement, voici une autre option, laquelle est la meilleure parce qu’elle coule comme l’eau d'un ruisseau, sans heurts. Vous préservez les pensées à la troisième personne et le temps de narration au passé, mais vous mettez complètement de côté l’incise, donc :

« Myriam observait le visage de Jean. Il avait les yeux chassieux à cause des quatre verres de whisky qu’il avait ingurgités avant le repas. Ses pupilles bougeaient dans tous les sens. Son sourire — ce sourire qu’elle aimait autrefois — était inégal : un coin de lèvre relevée et l’autre pas, pâle rayon d’un homme à qui la vie paraissait bienveillante, car rien n’était vu clairement. Des œufs séchés s’encroutaient dans sa barbe. Elle ne pouvait plus le faire. C’était impossible. » 

Le lecteur ne se demandera-t-il pas qui pense que Myriam ne peut plus le faire : Myriam elle-même, ou le narrateur? Cela dépend d’un autre facteur dans la manipulation des pensées : la distance.

Vous en saurez davantage dans le prochain billet.

Merci d'être là et de me lire.
Annie xxx...

3 commentaires:

  1. Si tu nous avais donné le choix, j'aurais d'emblée choisi la troisième solution. C'est facile dans un court texte... et dans le texte d'une autre. Dans les miens? C'est sans doute une autre histoire.

    Merci.

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  2. Hum... la troisième solution présuppose cependant un narrateur aligné. C'est plus fluide, en effet, mais si tu veux présenter les pensées de plusieurs personnages, tu cours le risque de démultiplier les points de vue lors d'une même scène et que le texte tourne au foutoir.

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  3. Gen, tu as raison, si l'auteur, dans un même paragraphe, passe du point de vue d'un personnage à un autre, c'est la confusion totale, je l'avoue. Mais la technique la plus utilisée dans l'écriture d'une scène est de changer de paragraphe pour introduire un nouveau PDV. Le lecteur pourra ainsi repérer la mécanique et s'y adapter facilement.
    De cette façon, on évite le foutoir !;-)

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