Pourquoi tout contrôler?
Je suis une personne qui a cette fâcheuse tendance à vouloir tout contrôler : la maison (je déteste les traîneries), mes enfants (nombre d’heures devant l’écran, l’alimentation, l’étude…), ma créativité, surtout, en l’empêchant de respirer, en ne la reconnaissant pas comme il le faudrait, et lorsque je décide enfin de la laisser être, ce sont mes personnages que je contrôle… C’est ce que j’ai tenté de faire avec Adeline dans sa première aventure (Adeline, porteuse de l’améthyste). Mais j’ai vite compris qu’elle avait d’autres valeurs que les miennes, d’autres vues, que je ne pouvais pas lui faire faire tout ce que je désirais : elle avait ses propres motivations.
Pourquoi est-ce que je vous parle de cela? Parce qu’en ce moment, je suis dans l’écriture du premier jet d’une nouvelle littéraire et je prends conscience que chaque fois que je fais en sorte qu’elle se déroule d’une certaine façon, je bloque : je perds le goût de continuer à écrire. Décidément, ce n’est pas moi qui ai le contrôle. Je dois apprendre à lâcher-prise pour permettre à l’histoire qui veut se dire de prendre vie sous ma plume. Cette histoire est déjà complétée, ailleurs, dans un univers invisible (ou parallèle), et je n’ai qu’à la laisser passer à travers mon être, comme si j’étais un simple canal pour elle. Je suis convaincue (et vous le savez déjà, car j’en ai déjà parlé dans un ancien billet) que toutes les histoires sont déjà écrites quelque part. Nous, écrivains, n’avons qu’à les retranscrire sur papier ou à l’écran.
Ceci étant dit, comment fait-on exactement pour écrire l’histoire qui veut se dire, celle qui pousse en nous pour sortir, celle qui nous a choisis pour la rendre vivante? La réponse, selon moi, se trouve dans l’écoute intérieure.
Toutefois, le monde intérieur d’une personne est incroyablement vaste. Quoi écouter au juste et où regarder précisément? En effet, en nous se superposent plusieurs couches auxquelles nous avons accès par la pensée. Il y a d’abord la mémoire où reposent tous nos souvenirs, réminiscences de notre vie actuelle, mais aussi de celles que nous avons vécues avant… De plus, il y a ce que j’appelle la couche intérieure de surface, cette mer d’idées usées à la corde, enrichie depuis l’aube des temps par les mythes et les légendes et les nombreuses histoires déjà écrites qu’on a lues et entendues, relues et réentendues, et toutes ces images qui nous bombardent de tous côtés : télévision, films au cinéma, journaux, revues, Internet… Tout ce qui provient de cette couche n’est pas toujours authentique ni vrai. Ce qui l’est doit tirer son origine de la couche intérieure profonde. Quand l’histoire vient de la couche intérieure profonde de l’écrivain, on dit qu’elle est organique. Comment l’écrivain peut-il permettre à la vraie histoire, celle qui veut se dire, de parvenir enfin jusqu’à la feuille ou à l’écran?
L’expérience. Oui. Les écrivains qui ont une longue carrière derrière eux savent de quoi je parle. Ils ont, avec les années, développé leurs propres méthodes et techniques pour extraire la vraie histoire de cette couche intérieure profonde.
Cependant, il n’y a pas que les écrivains expérimentés qui ont accès à cette couche intérieure profonde. Je connais de jeunes écrivains qui ont déjà la maturité d’être à l’écoute de ce qui se passe à l’intérieur d’eux. Je crois surtout que pour écrire de façon organique, il faut d’abord taire la voix de notre critique intérieur pour ensuite écouter simplement ce qui est là, dans l’instant présent, en s’ouvrant à la dimension intérieure où l’histoire existe déjà. Il faut lâcher-prise sur tout ce qu’on connaît déjà et faire confiance. Voilà. Lui faire confiance, à elle : l’histoire.
Que vous en soyez conscient ou non, toute histoire qui cherche à passer à travers l’écrivain a quelque chose à lui enseigner. Et pour découvrir cette chose, ce dernier doit être humble.
Écrire de façon organique demande donc, d’une part, que l’écrivain mette de côté son égo pour laisser vivre ce qui veut vivre, et ainsi comprendre le message que toute cette fichue histoire tente de lui livrer, et d’autre part, qu’il s’émerveille face à la grandeur qui l’habite, qu’il en soit curieux, voire amoureux.
Le lâcher-prise… pour que nos personnages prennent leurs propres décisions, pour que la vraie histoire soit, pour que nous soyons témoins de sa manifestation.
Merci d’être là et de me lire.
À bientôt,
Annie xxx…
Merci Annie ! Tes mots sont exactement ce que j'avais besoin de lire en ce moment. Mon histoire, elle est là, bien au chaud dans ma tête... mais je suis incapable de lui donner la même ambiance, la même chaleur, quand je l'écris. Juste être à l'écoute de ce qui se passe en moi, et le reproduire, simplement.
RépondreSupprimerMerci d'être là pour partager ton vécu et tes émotions littéraires ;o)
@ Lucille : Bien contente que mon texte vous aide dans votre démarche d'écriture.
RépondreSupprimerMerci d'être passée sur le blogue.
Et au plaisir de vous relire. :-)
J'aime beaucoup tes réflexions Annie, elles me font toujours réfléchir. Merci.
RépondreSupprimer@ Audrey : Tout le plaisir est pour moi. :-)
RépondreSupprimerJe crois que pour écrire "organiquement" il faut quitter le mode analyse et passer au mode ressentir. Ça n'a rien à voir avec la tête. Il faut descendre plus bas, au niveau du ventre ou peut-être du plexus solaire, tout près du coeur. C'est là que ça se passe :)
RépondreSupprimer@ Isabelle : Tout à fait ! C'est quelque chose qu'on ressent, qu'on vit, dans notre corps...
RépondreSupprimerMerci, Isabelle, pour ton commentaire fort pertinent. :o)
J'adore ce billet, Annie.
RépondreSupprimerLâcher-prise, abdiquer devant ses personnages et certaines de leurs choix, ce n'est pas toujours facile.
Plus difficile encore... savoir quand lâcher-prise et quand combattre.
Car parfois il faut le faire. Il faut se battre avec un personnage, avec ce qu'il dégage, avec ce qu'il désire. Parfois, c'est l'auteur qui a raison.
Les deux situations me sont arrivées par le passé. Me démener pour rien, m'acharnant à faire avaler de force des morceaux d'intrigue dont le personnage ne voulait rien savoir.
Ou alors me montrer trop «mou». Trop à l'écoute de mon personnage, le laissant s'enfoncer, devenir terne, vide. Sous prétexte que «oui mais c'est le personnage...».
Faut parfois les secouer pour leur bien ;)
Mais, pour revenir à ton billet, comme tu dis, l'idée est de faire confiance. À soi-même, et surtout, à l'histoire qui rôde dans les profondeurs, dans les cavités de nos petites cervelles ridées, qui elles-mêmes puisent je-ne-sais-trop-où :)
@ Pat : Merci pour tes bons mots, Patrice. Et ce que tu dis est juste, quoique je n'ai pas encore eu l'occasion de me battre avec un de mes personnages. Cela viendra-t-il peut-être bien assez tôt... ;-)
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